jeudi, novembre 23, 2006

le château faible (suite)




Mon nom est Amour.
Quand j’étais petit, à chaque fois que je croyais devoir changer de nom pour que les gens puissent m’en donner un autre plus convenable, je me construisais un petit muret pour cacher ce que je croyais être une faiblesse.
Je postais un acteur devant le mur et un archer au-dessus, le premier pour faire croire aux autres que j’étais vraiment comme il fallait, et le second pour attaquer ceux qui voudraient m’attaquer.

Avec les années, les murets sont devenus un château « fort », une sorte de Disneyland qui gérait tout ce qui avait trait au monde.

Mais comme je vis dans le monde, et qu’apparemment le seigneur du château s’y connaissait mieux que moi dans les matières de territoire, d’argent ou de propriété, j’ai fini par lui céder mes décisions.

Et moi j’étais caché quelque part dans un cachot, malheureux d’être enfermé mais content d’être protégé et nourri. Plus le temps passait, plus j’oubliais mon nom, il se déformait ou changeait, les habitants du château m’appelant tous d’un nom différent.

Alors je rêvais avec tout ce que mon âme pouvait m’apporter, et c’était mon seul moment où je sentais la vie…et où je me rappelais de mon nom et d’où je venais.




Mais j’ai fini par être fatigué de rêver pendant que quelqu’un d’autre vivait ma vie.

Alors je me suis échappé…

Et j’ai eu tellement peur, avec tous ces gardes en armes partout… et tous ces acteurs tellement sûrs d’eux qu’ils réussirent à me convaincre de retourner dans le cachot.

Ils réussirent à me convaincre que j’étais « inapte » à gérer ces affaires du monde, qu’il valait mieux laisser faire ceux qui l’avaient construit comme ça.

Alors je rêvais encore et toujours des images de mon âme et mon nom résonnait dans mon cœur, comme du temps où j’étais libre.

Et je m’évadais de temps à autre…


Une chose m’arrivait souvent lorsque je m’évadais….

Toute cette lumière du monde extérieur, ces gens en mouvement partout, la nourriture fraîche du dehors, tout cela me rendait joyeux et plein de vie.

Je me mettais alors à rêver d’un château encore plus fort, avec encore plus de soldats et de défenses, plus de nourriture, un château tellement imposant qu’aucun autre château ne pourrait rivaliser avec le mien.
En fait, il serait tellement imposant que personne n’oserait l’attaquer, il serait respecté et il n’y aurait plus aucune inquiétude à avoir. Je serais enfin libre de ne plus avoir peur.


Et je me mettais à diriger les soldats, ouvriers et acteurs avec entrain et enthousiasme, heureux de voir enfin la lumière du jour.

Mais par hasard et en passant devant un miroir, je constatais à chaque fois que j’avais enfilé l’habit du seigneur, et que j’étais devenu lui !

En même temps je prenais conscience d’être à nouveau enfermé dans mon cachot, piégé par ma propre avidité.

Le seigneur m’avait encore eu.

Alors je me mettais à tout haïr, parce que je ne me souvenais pas avoir choisi de venir dans ce pays où tout se prend par la force et se défend par le mensonge.




Un jour que j’en avez assez de haïr ce monde, je suis sorti de mon cachot en paix, et tout le monde avait disparu du château, le silence régnait et les portes du château étaient grandes ouvertes, sans que rien ni personne ne l’attaque…

Ce jour-là, j’ai compris que c’était moi qui était le maître de ce château, et que tout ce qui s’y trouvait n’était que le reflet parfait de mon esprit.

Etrange prise de conscience qui remettait tout en question. Il n’y avait plus rien ni personne contre qui se défendre ou haïr.


Je me sentais complètement perdu et démuni sans ennemis à combattre.

Et pourtant je sentais encore en moi cette envie d’être un grand seigneur, pour être craint et admiré.

Ma vue se brouillait, mes oreilles bourdonnaient, je suffoquais, le château apparaissait et disparaissait dans la même seconde, je ne savais plus sur quel pied danser : être le maître de ce que je ne voulais pas régenter ou le prisonnier de ce que je voulais être sans l’aimer ?

Il devait y avoir autre chose, dans les fondements même de cet endroit….


Alors j’ai commencé à vouloir chasser ces intrus du château.

Chaque fois que j’en croisais un, je lui demandais ce qu’il faisait là, et il me sortait à chaque fois un contrat signé de ma main lui expliquant ses tâches et le pourquoi de sa présence.
Ils étaient tous là pour me protéger d’une perte ou d’une douleur que j’avais vécue.


Alors je rompais le contrat avec eux, et ils disparaissaient les uns après les autres, certains réapparaissant de temps à autres lorsque j’avais à nouveau peur.

Leur force et leur nombre diminuaient de plus en plus mais ils réussissaient toujours à m’enfermer dans la prison du château.

Et je continuais à m’évader et à me battre.


Je me sentais de plus en plus libre dans ma prison, mais quelque chose clochait.


Du haut de la tour principale du château me regardait en ricanant le maître du château.


Il se disait qu’il allait pouvoir enfin régner en seul maître sur son domaine, sans toutes ces bouches à nourrir.

Il avait bien tenter de s’en débarrasser lui-même mais j’étais le seul à pouvoir le faire.

Alors la situation l’arrangeait bien.



Mais une nuit tout s’est éclairé.


Au lieu de me battre avec les gardes qui étaient une fois de plus en train de me traiter de tous les noms, je m’arrêtais et criais mon nom.

Quelque chose d’étrange se produisit.


Le château disparut de ma vue pour faire place à un pays paisible et rayonnant, sans ennemi à combattre.


En arrêtant de crier, ils réapparurent devant mes yeux, me donnant encore leurs noms sans valeur.

J’ai compris qu’ils n’avaient aucun pouvoir sur rien.

Ni sur moi, ni sur les choses du monde.
En réalité, la seule chose qu’ils protégeaient était leurs mensonges, leur monde et leur fausse-vie.

Et le pire, c’était que j’avais tout orchestré sans m’en rendre compte.

Je n’avais donc plus rien à craindre, et même si les fausses images du château étaient toujours devant moi, je savais maintenant qu’il ne tenait qu’à moi de les dénoncer pour remettre la réalité à sa place.

Et pour cela, il suffisait que je me souvienne de mon nom et que je le crie haut et fort : Amour.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tres interessant, merci